« Il gisait nu, face contre terre, au milieu d’un étang gelé. Du sommet au menton, sa tête avait été fendue par une hallebarde suisse tandis que les piques des montagnards avaient troué son corps de part en part. Ce qui restait de son visage était méconnaissable. Un loup lui avait rongé une joue. »

Ainsi finit Charles le Téméraire, Duc de Bourgogne, il y a tout juste 548 ans.

D’abord comment en était-il arrivé là ? Après s’être pris une raclée par les Suisses quelques semaines avant, raclée où la moitié de son armée de vingt mille hommes avait été passée par le fil de l’épée, il avait décidé, au lieu d’adapter sa stratégie aux forces dont il disposait après la défaite, de franchir à nouveau la frontière pour aller montrer aux Suisses qui était le patron. Bien qu’il n’ait pu cette fois réunir que trois mille hommes en petite forme, ça ne lui avait curieusement pas fait réévaluer ses probabilités de succès. Le résultat fut cette triste fin pour un des princes les plus puissants d’Europe.

Comme je m’appelle Charles et que je suis né à Dijon, vous comprendrez que ça me parle. Surtout quand je veux justement tenter un truc de téméraire…

Depuis le début du mois je regarde le cours de Moderna baisser pour passer hier soir à la clôture sous les $32. Pour retrouver ce niveau dans le passé, il faut revenir à avril 2020. Une époque où on ne savait même pas que Moderna sortirait un vaccin à ARN messager sur le COVID six mois plus tard. Au niveau actuel, la valeur boursière de Moderna est de $12 Mds. Sur le bilan au 30 septembre je lis [cash + investissements + comptes clients] = $11 Mds. Dette ? Zéro. Donc en réalité le marché valorise le business Moderna un milliard. Pour ce prix là j’ai la franchise COVID (40% de parts de marché) et le pipeline de médicaments en développement. Une idée de ce pipeline ? Sur deux ans, Moderna a mis $10 Mds dans sa R&D. Et puis je pense que Stéphane Bancel, le français centralien patron de Moderna est un vrai bon.

Et pourquoi ça baisse ? Parce que Robert Kennedy, connu pour ses positions anti-vaccination, s’approche du siège de ministre de la Santé du gouvernement Trump. Ce malgré une lettre signée par 77 [ soixante-dix-sept !] prix Nobel expliquant que l’arrivée de Kennedy à ce poste serait une catastrophe pour la Santé américaine.

Robert F. Kennedy Jr

 

Extrait de la lettre parue dans le New York Times le 9 décembre

 

Donc je regarde tout cela, je regarde le cours et l’envie me prend de doubler la position de Moderna (3% du fonds). J’imagine alors le cours qui remonte, la performance qui s’envole…

Néanmoins deux coups de fil avant de passer à l’acte :

1/ J’appelle Guillaume* – la nouvelle organisation ne sera en place que dans six mois mais nous travaillons déjà ensemble. Je lui explique le topo, il me répond très poliment que tout ça c’est très gentil mais que « sizing is sizing », que sur nos 49% actuels d’exposition maximum aux actions, les 3% représentent déjà une position de 6% ce qui fait une belle position. « 1% max en plus ! » dit-il avant de raccrocher.

2/ J’appelle ensuite Nicolas** pour vérifier qu’évidemment, en agitant Kennedy, Trump ne fait que de la com’ et qu’in fine un type aussi controversé ne passera pas.

 « Ah, non, erreur, il a en fait toutes les chances de passer : il a passé le vote de la Commission des Finances du Sénat (la seule qui ait un pouvoir de décision) à 14/13. Les 14 Républicains ont voté pour lui et les 13 Démocrates contre. Il a aussi passé l’audition devant la Commission de la Santé (même si elle n’a pas de pouvoir de décision). Il ne manque que le vote du Sénat où les Républicains ont une forte majorité (en termes US) : 53 Républicains vs 47 Démocrates. Et en sus, en cas d’égalité c’est le Vice-Président qui tranche. »

Je raccroche, toujours convaincu que Moderna vaut nettement plus que son cours actuel mais je ne vais cependant pas suivre mon illustre aïeul et repasser la frontière. Je garde ce que j’ai et j’attends.

Passez une bonne semaine.

Charles Le Couard Le Raisonnable

*Guillaume Dolisi, fondateur de VIA AM

**Nicolas Mazzucchi, expert géopolitique