C’est une leçon extrême mais utile, pour ceux qui investissent sur les marchés : si vous voulez survivre, il faut savoir vous coupez un bras. Exemple récent avec Clariane (ex.Korian). Post scandale Orpéa, nous étions rentrés sur l’obligation 2.25% échéance 2028 à un prix de 72%. Nous devions donc toucher chaque année un coupon de 2.25%. Et à l’échéance, être remboursé à 100. Le rendement total de l’opération approchait donc les 8.5% par an.
Notre raisonnement était le suivant:
– malgré le scandale d’Orpéa, le besoin de maisons de retraite était toujours là.
– malgré le scandale, l’Etat ne pouvait pas modifier structurellement le métier – en imposant trop de nouvelles contraintes – car ce faisant il se tirerait une balle dans le pied en grevant les comptes déjà en difficulté des maisons de retraites du secteur public.
– la dette était nettement plus raisonnable que celle d’Orpéa (1 fois les actifs contre 2 fois pour Orpéa).
– la direction était plus proche de l’Etat (la PDG, une ancienne énarque, a occupé différents postes publiques avant d’arriver en 2016 chez Clariane).
Ces points se sont avérés relativement justes. Mais la hausse des taux est venue compliquer la situation : avec des taux plus hauts, la valeur des actifs immobiliers du groupe baissait et dans le même temps, le refinancement du groupe devenait difficile.
Cet effet ciseaux a fini par nous faire apercevoir qu’il n’était pas si certain que Clariane s’en tire sans une restructuration de sa dette. Mais au moment où nous avons réalisé cela, le prix avait déjà glissé de quelques points. Il fallait accepter de se couper non pas le bras, mais quand même quelques doigts, pour s’en sortir. Nous avons vendu nos dernières Clariane à 57 le 13 octobre. La sortie a été longue et fastidieuse : même pour une ligne relativement petite ( 2.5M EUR), il nous a fallu plusieurs semaines pour réussir à tout vendre.
Un mois plus tard, le 14 novembre, Clariane annonçait un plan de restructuration. Pour l’instant celui-ci ne prévoit qu’une augmentation de capital et des cessions d’actifs. L’annonce a déjà fait baisser l’action de 50%. Sophie Boissard, PDG, a déclaré « notre accès au marché a été sévèrement réduit depuis fin octobre. » Le groupe a €840 M de dette qui arrivent à échéance d’ici juin 2025. Le communiqué précise que si le plan se passe mal « la Société pourrait faire face à un risque de bris de covenant dès fin 2023 et un risque de liquidité à horizon fin avril 2024 et être conduite à se placer sous un régime de protection adapté pour renégocier son endettement avec ses créanciers. »
Si Clariane passe en régime de protection, ce sera une décision essentiellement entre le juge, dont l’objectif premier est que la société survive, et les investisseurs qui viendront mettre de l’argent frais. Les détenteurs d’obligations ont un bien faible levier dans ces discussions.
Nous sommes in fine bien heureux d’avoir accepté de payer un peu pour sortir de ce dossier. Si à un moment, vous vous apercevez que le risque est beaucoup plus important que vous l’aviez estimé au début, il faut sortir. Le prix payé initialement n’a aucune importance. Si vous commencez à vous arc-bouter sur ce prix d’entrée, vous allez vous bloquer mentalement sur ce dernier, et cela vous empêchera de regarder rationnellement la nouvelle donne – je parle par expérience. Donc comme Aron Ralston, allez-y franchement !