« L’Arbre aux Quarante Ecus* »
04 December 2024
Quand je rencontre des lecteurs du Billet, ils me disent souvent que ce qu’ils aiment bien c’est apprendre quelque chose sur des boîtes qu’ils ne connaissent pas. Alors en voilà une pour vous : GINKGO BIOWORKS.
J’aime bien le fait que ce nom soit un peu imprononçable. Cela me rappelle l’histoire de Reuben Mattus passant des heures dans sa cuisine de Brooklyn à prononcer des noms qui sonnaient « nordiques » pour retenir « Häagen-Dazs » qui allait devenir une des premières marques de glace. Parce que le truc intéressant de Ginkgo, c’est le mélange de la biotech et du marketing.
Ginkgo a été fondée en 2008 par cinq élèves du MIT, dont Jason Kelly (photo en tête) l’actuel CEO, sur un projet ambitieux : se servir de la biologie en reprogrammant les cellules.
Voilà ce qu’en dit Kelly : « Les cellules sont programmables de la même manière que les ordinateurs, car elles fonctionnent avec un code numérique sous forme d’ADN. Nous pensons que Ginkgo possède le meilleur compilateur et débogueur pour l’écriture du code génétique et nous l’utilisons pour programmer des cellules pour des clients de divers secteurs – matériaux, vêtements, électronique, alimentation, produits pharmaceutiques, etc. Ce sont toutes des industries biotechnologiques, mais elles ne le savent pas encore. »
Là où le dossier Ginkgo a pris un tour intéressant c’est en 2014 : ils sont passés par Y-Combinator. Y-Combinator est un incubateur de startups créé en 2005, avec de gros succès à son actif comme AirBnb, Dropbox, Doordash. Mais jusque-là ils n’avaient jamais fait de Biotech. Donc Ginkgo fut la première à intégrer le playbook du développement de startup tech à une boite de Biotech. Et Jason Kelly a ainsi vite compris comment marchait ce jeu : développer une boite de biotech cela demande beaucoup de moyens et pour aller les chercher ces moyens, il ne faut pas rester au fond de son labo avec sa blouse blanche – il faudrait organiser un séminaire animé par Jason Kelly pour Paul Stoffels de Galapagos et Ugur Sahin de Biontech – mais trouver le pitch avec lequel on va pouvoir lever ces milliards.
Armé de la méthode Y-Combinator, Kelly est donc parti à la conquête de Wall Street avec un discours à la Masa – le patron de Softbank pour ceux qui n’ont pas lu le billet précédent. Les tours de table se sont succédé à partir de 2015, et les gens autour de la table n’étaient pas des petits noms : Bill Gates, Baillie Gifford, Viking Global Investor (on ne présente pas le premier, les deux autres sont deux gros fonds très actifs dans la Tech). Au dernier tour de table, en 2019, la valeur de Ginkgo est de $4.2 Mds.
Puis arrive la frenzy de 2021 dont Kelly entend bien profiter. Pour une introduction en bourse réussie, il faut bien préparer son marketing. Kelly va jusqu’à racheter à Roche le ticker DNA qui était celui de Genentech, gros succès de Biotech des années 90, jusqu’à son rachat par Roche en 2009 sur une valeur autour de $100 Mds. L’introduction est faite au top de la bulle en septembre 2021 sur une valorisation de $14 Mds. Baillie Gifford en rajoute et Cathie Wood se joint à la partie. Jason Kelly lève avec cette opération $1.5 Mds de capitaux. C’est beaucoup, mais pas assez. L’action prend bien 50% en quelques semaines, mais revient à son prix d’introduction à la fin 2021. Puis la dure loi des chiffres reprend le dessus. Une perte de $2.2 Mds en 2022, une autre de $870M en 2023, le ballon se dégonfle. L’action perd plus de 90% de sa valeur.
Suivent quelques procédures judiciaires puis une attaque par un short-seller… Après un reverse-stock-split de 1 pour 40 (une action nouvelle vaut quarante actions anciennes), l’action valait $6.0 (soit $0.15 avant split) au mois de novembre quand nous sommes rentrés.
Rentrés ? Mais que venons-nous faire dans cette galère ?
Eh bien, après toutes ces baisses et ce newsflow difficile, l’action avait atteint il y a trois semaines une capitalisation de $350 M. C’est peu pour une société qui a $700M dans ses coffres.
C’est peu pour une société qui vient d’annoncer un partenariat avec Merck :
« Chez Merck, nous sommes toujours à la recherche de moyens nouveaux et innovants pour optimiser l’efficacité des processus tout en maintenant l’intégrité des produits », a déclaré le Dr Michael Kress, vice-président principal, sciences du développement et approvisionnement clinique, Merck Research Laboratories. « Nous sommes heureux de renforcer notre relation avec l’équipe de Ginkgo Bioworks. »
C’est peu pour une société qui vient d’annoncer un autre partenariat avec Google :
« Le nouveau LLM pour les protéines et l’API ouverte de Ginkgo marquent une étape majeure dans l’accessibilité des outils d’IA avancés pour la découverte de médicaments et la recherche biologique. En s’appuyant sur l’infrastructure et les capacités d’IA de Google Cloud, Ginkgo permet aux entreprises et aux scientifiques d’accélérer leur travail et de stimuler l’innovation dans le domaine des sciences de la vie. Ginkgo ouvre la voie en démocratisant l’accès aux modèles d’IA de pointe, afin d’accroître la valeur des entreprises pharmaceutiques qui utilisent la plateforme de Ginkgo et, en fin de compte, d’aider les gens à vivre en meilleure santé. » (Chris Sakalosky, vice-président des industries stratégiques, Google Cloud)
Et c’est peu pour une boîte où la barre est tenue par un Jason Kelly désormais plus aguerri – il a soldé les litiges et l’attaque du short-seller pour un montant mineur – et qui vient de passer tout près du précipice. S’il arrive à réaligner les planètes, les valorisations de 2019 sont atteignables donc on peut faire x10. Attention : si Kelly n’y arrive pas, downside 100% donc ne pas utiliser comme fond de portefeuille pour les fonds de l’association pour la défense des otaries sauvages. Adaptez le sizing en fonction de ce que vous pouvez perdre. Chez Monocle on a mis 0.3% du fonds – c’est en hausse de +40% depuis mais c’est très volatil.
* autre nom de la plante Gingko Biloba
Market and portfolio focus
Du 22 au 29 novembre, Monocle gagne 1.6%, le CAC 40 perd 0.3% et le S&P 500 fait +1.1%.
Deux lignes ont bien performé cette semaine, Capri et les taux longs US.
Les arbitrageurs avaient balancé Capri une fois l’acquisition par Tapestry tombée à l’eau. Le titre avait perdu plus de 50% et on avait mis une ligne à ce moment-là, quand la pression vendeuse était au maximum. Depuis le flux acheteur est un peu revenu et, surtout, le mangement remet les mains dans le cambouis. C’est ce qui a été salué cette semaine avec la réorganisation de Michael Kors. Le titre prend 15% sur la semaine et nous rapporte 40bps.
Après une petite période de stress, les taux longs US se sont bien détendus. On était passé au-delà des 4.65% plus tôt dans le mois et on finit vers les 4.40%. De quoi nous rapporter 40bps là aussi.
Nous avons fait 2 autres trades en plus de l’achat de Softbank dont on vous a parlé la semaine dernière.
Nous avons rentré une ligne de Hesai suite à sa publication (0.5%). Nous pensons que sa stratégie de baisse des prix des lidars va permettre de démocratiser son usage et en faire une industrie à gros volumes avec des résultats qui suivront.
Dans le même temps, nous avons doublé notre ligne d’Ouster (1.4%), autre leader de l’industrie lidar qui devrait bénéficier d’une trajectoire similaire.
Notre exposition nette action est dorénavant proche de 35%.
Have a good week,
Charles
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