Mercredi dernier, un peu après 22h00, je regardais — avant d’éteindre — le communiqué des résultats de Luminar, le spécialiste du Lidar monté par le jeune Austin Russell (30 ans). Ceux-ci étaient conformes aux attentes, pas de réaction particulière sur le titre après clôture : j’éteignais mon écran pour aller dormir du sommeil du juste.
Le lendemain matin, c’est le sourcil en accent circonflexe que je découvris les premières lignes du call de résultats :
«Austin Russell, fondateur, PDG et Président du Conseil d’administration, démissionne avec effet immédiat à la suite d’une enquête du Comité d’éthique, à la demande du Conseil d’administration.»
J’ai appris un truc dans ce métier : il ne faut pas oublier pourquoi on est rentré sur un stock. Trop souvent, on entre pour une raison A, qui finit par ne plus avoir aucune chance d’advenir, mais on reste en imaginant une raison B, puis C… Mon expérience m’a appris que ça ne se termine généralement pas bien.
Sur un dossier comme Luminar, dépendant totalement de son savoir-faire sur le Lidar, avec des petits chiffres (revenus TTM : 77 M$) et une grosse dette (480 M$), notre raison pour toucher à Luminar — qui affiche 80 % de volatilité — c’était Austin Russell, le gars qui bricolait des Lidars dans son garage à 16 ans (véridique !).
Je savais qu’il était un peu rock’n’roll : juste après l’IPO (« Initial Public Offering », ou introduction en Bourse) le 3 décembre 2020, Austin, 25 ans à l’époque, s’était acheté une bicoque à Los Angeles pour… 83 M$. Austin ne pratiquait donc pas la gestion « bon père de famille » — mais vu le billet précédent, vous savez que Musk est pareil.
Manque de chance : cette onéreuse cabane est partie en fumée au début de l’année, dans les incendies de Californie. Je ne sais pas si c’est en mettant la main dans le tiroir-caisse ou à un autre endroit défendu — le champ d’investigation du Comité d’éthique est vaste — mais la conclusion, c’est qu’Austin est out.
Et, par conséquent, nous aussi. Dans la minute.
Le 2 octobre 1963, Robert McNamara, secrétaire à la Défense, recommandait à John Kennedy de retirer dans les deux ans les 16 000 « conseillers militaires » américains du Vietnam, car il ne voyait pas d’issue positive. Kennedy accepta. Cinquante jours plus tard, Kennedy était assassiné. Johnson devenait président et faisait demi-tour sur le Vietnam. Toujours avec McNamara à la Défense, six ans plus tard, les États-Unis auront 550 000 soldats au Vietnam. Cinquante mille morts côté américain, aucun gain notable : c’est l’exemple type du « quagmire » ou « bourbier » en géopolitique.
On aura laissé des plumes dans l’affaire Luminar (47 bp sur l’ensemble du trade) — mais la taille de la ligne était ajustée en fonction du risque (0,9 % du fonds avant la vente), et quoi qu’il arrive, cela ne deviendra pas un quagmire.